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Comment je théorise et pense ma pratique

Que signifie regarder l’autre ou le faire exister ? Quelles conditions cela implique-t-il ? Introduction à la notion d’ « espaces intermédiaires » qui nous permet de regarder l’autre dans sa complexité et ses multiples dimensions.

Mon métier de psychiatre et psychanalyste m’a permis de réaliser le besoin, essentiel et largement sous-estimé, de la mise en perspective de soi et des autres. J’ai vu et rencontré la misère mentale humaine accompagnée de sa violence et liée à la misère sociale. Je l’ai connue à l’hôpital, en dispensaire, et aussi dans mon cabinet. Au début, je ne savais pas comment l’exprimer ou commencer à le faire pour le bien des personnes d’une part, mais aussi pour moi qui les recevait. Le premier enjeu a donc été de pouvoir recevoir et appréhender les formes des mécanismes ou mécaniques sociales, et leurs violences souvent implicites. Cette violence s’exprimait déjà dans la façon d’ignorer ou de ne pas pouvoir connaître, ou seulement dans une certaine ligne ou façon. Par une méconnaissance souvent des formes de violence en jeux. Cela revient souvent au même. Je suis donc parti de cette méconnaissance et ignorance fondamentale et constitutionnelle, pour l’accueillir, la prendre en compte et voir de quoi elle est faite, comment elle se présente et comment elle s’oppose à la notion d’individu, « en situation de soi ». On peut parler de « moi » et de « soi social », en charge de soi. Le propos n’est pas de pouvoir l’analyser, mais déjà de le prendre en compte dans son reflet, son miroir et son objectivation. Le film Family Life, réalisé par Ken Loach, en 1971, illustre bien cette violence implicite et butée et ce refus pour certains de comprendre ou de prendre le relais institutionnel et humain, pour que cesse une violence absurde sur une jeune femme, représentée comme « une non personne », en lien avec son milieu. Ce film, qui est une forme de démonstration autour d’une ignorance constituée, se situe dans le mouvement antipsychiatrique de l’époque. Le faire voir et montrer constituait déjà un pas important, car il est peu probable que ceux qui sont pris en volet et vase clos dans ce type de situation, puissent s’en rendre compte, sans action et retour d’une puissance sociale dialoguant. Que des œuvres culturelles et artistiques puissent en témoigner, est donc une bonne chose. Je dirais même que la psychiatrie mentale et le social sont à mettre en perspective dans la même misère ou aliénation, en forme de non savoir, et comme fabriquant de la « non personne ». La misère se fait connaître par le biais du social ou du sociétal, de façon bruyante, mais elle a aussi des aspects culturels dans la forme de prise en compte et de conscience.

Rechercher la bonne distance pour voir l’autre comme un tout et dans toute sa complexité

Pour mettre en perspective et en regard, et pour que des esprits puissent se rendre compte de ce qui se passe, il faut non seulement inclure la dimension de ce qui vient, de ce qui est, mais aussi inclure les « espaces intermédiaires », dans leur prise de connaissance et de savoir. Car on n’accède à la connaissance de ce qu’on ne savait pas, ou que l’on pensait non pensable, que pour autant qu’on a vu et donc expérimenté. Dans l’exemple du film de Ken Loach, qui est un récit, nous sommes face à l’aveuglement et à la non connaissance ou forme d’ignorance. Manquent les espaces de récit, de parole et d’intelligence par l’image, pour comprendre la situation de la jeune femme. Disons qu’il manque l’expérience et son intervalle de temps. La connaissance est ainsi fortement conditionnée et de façon catégorique, par la prise de conscience, d’expérience et de temps, et donc aussi par le temps qu’il a fallu pour le comprendre et le concevoir. Connaissance qu’il faut voir, pas seulement au sens d’une chose considérée comme complète et consciente, mais comme une conscience pleinement constituée et avancée du temps et dans le temps. La notion d’espace pour connaître et comprendre dans l’expérience, au moins de soi, est également incluse dans le fil de ces notions. Par ailleurs, il faut ajouter que les expériences et les possibilités de connaître, se regroupent en idées ou productions d’idées, sur des personnes et des situations, et cette connaissance est fortement conditionnée par les idées et notions institutionnelles que se donnent et instituent une société. Au travers de quoi les choses et les êtres s’imaginent et se négocient de façon transitive, dans et au travers de leurs situations et compréhensions respectives. La négociation entre êtres, à partir de leurs états et situations propres, n’est pas habituelle, tant elle est dépendante des formes d’autorisation et de convention régnantes, comme de droit ou dans le droit.

J’ai voulu prendre cela en compte dans ma pratique et ne pas travailler hors réalité, ni « hors société » et hors conscience des situations en brut. Je me suis demandé comment prendre en compte ce réel et l’ensemble de ces conditionnements. Une de mes réponses a été de me situer comme un être à part entière, qui reçoit d’une certaine place et situation, et qui se demande ce qu’il reçoit et comment. Je ne me suis pas confondu avec les murs du droit et des institutions, ou leur traduction en image mentale, de peurs, de conditions et d’interdits, ou à l’inverse d’excès d’autorisations. Une autre façon de le dire est de penser que dans les contextes de vie, on doit d’abord faire connaissance et se situer. Comme je l’ai compris dans mes études de médecine, mais aussi bien avant, il faut « cesser de se prendre pour les murs ou pour l’uniforme ». Un médecin et un technicien, même bien formés, ne doivent pas ne regarder que du haut de leur spécialité, ou selon le grade qui leur est conféré par la société ou le collectif social. J’ai choisi pour ma part de respecter la personne, son individualité, son contexte et sa situation ; ce qui permet d’avoir en vue un certain nombre de complexités les composant, comme les parties d’un tableau ou de son habillement. Mon approche s’est donc réalisée dans son intégration progressive. Il a été pour moi essentiel de mettre la personne en rapport avec sa complexité. Il faut dire que la psychiatrie, comme domaine, idée et institution, s’y prête peut être plus encore que d’autres domaines et concepts. La situation des personnes pouvant être violente à divers titres, il est préférable et indispensable de ne pas seulement la traduire en notions et conceptions abstraites, de type diagnostic à distance. Il faut aussi comprendre la tendance plus ou moins forte que nous avons pour parler, étiqueter et comprendre les personnes, comme si elles étaient des non personnes.

Cela m’a conduit à théoriser et comprendre en forme d’espace et de distance, et en bloc, afin de prendre en compte la réalité dans une épaisseur et dimension suffisantes. De là, a démarré et émergé ma tendance à lire et vouloir comprendre en termes d’image et de concept global. Je me suis demandé comment le faire, en situation et en théorie. Je me suis posé des questions sur les problèmes de notations et de prise de contenus, en image et intention, sous la forme de notes, de tracés et d’images mentales, en prenant en compte la notion de distance. Cela m’a conduit à théoriser et comprendre en forme d’espace et de distance, et en bloc, afin de prendre en compte la réalité dans une épaisseur et dimension suffisantes. Les notions de « lecteur » ou de « code lecteur » en ont découlé. Car, c’est bien ainsi que cela se passe dans le fonctionnement ordinaire des images mentales, et dans la façon de prendre en compte sa vie dans le quotidien, en forme de conscience et de gestion globale. Et c’est ainsi que j’ai conçu que nous nous prenions comme une somme de fragments et de résultats, dans nos épisodes et leur gestion. C’est ce à quoi j’ai accordé du corps et de la consistance. J’en ai tiré des unités de concepts nouveaux pour s’engager dans cette voie m’éclairer. Je m’en sers dans ma nomenclature en leur donnant des noms de signes, pour opérer avec ces sortes de données compactes en espaces ramassés et intégrés. Je me suis donc obligé à comprendre ou tenter de comprendre, en image et imagerie mentale des ensembles de données, et pas seulement sur des modes d’imagination courante. Cela oblige à s’attaquer à ce qu’on comprend, pense comprendre, exprimer, communiquer, et ce que l’on véhicule ou met en circulation, à travers des espaces potentiels que je qualifierais d’« intermédiaires », qui renvoient pour moi aux conditions et épaisseurs de condition ou de temps, pour que quelque chose se réalise et soit. Quant à la notion de distance ou d’espace, elle traduit des sensations, des épaisseurs et des consistances.

Or pour que la mise en perspective opère, dans cette forme de position et de conception globale, il faut que la personne soit regardée et introduite au point de vue qu’elle est quelqu’un, et prise elle aussi dans une mise en mouvement de perspective et de retour. Il faut pouvoir la considérer comme une personne, ou encore « une petite institution ». Et il faut établir pour cela une convention, comme une résolution observée de soi vis-à-vis de soi et qui soit comme un pacte ou une promesse envers soi. Cela revient à introduire la personne à une éthique d’elle et du social. Une autre image serait de dire, qu’on aide la personne à se voir comme en surplomb, et pas seulement en fonction du passé qui insiste pour faire retour sur elle, comme un être borné, ni seulement vu dans l’immédiat et le drame qui colle à sa personne et son univers. Dans la logique du décalage cela lui permet de s’installer en face d’elle, et pas seulement dans la façon dont elle s’imagine ou imagine la situation ou la réalité où elle se trouve où on la voit. On est là dans une vue qui élargit toutes les perspectives et qui rapatrie la personne en face d’elle et de ses entourages. Cette méthode est créatrice d’un langage sur soi, qu’il faut pouvoir constituer et aller chercher. Freud l’a bien vu, et de façon étonnante dans sa manière de conceptualiser l’espace du temps et des conceptions des personnes. Le temps de l’avant et de l’après se croisent et se mélangent en quelque sorte. La personne est comme projetée dans un autre temps ou dans une autre dimension d’échelle de temps et de l’avoir été. Ce qui élève les formulations de Freud à la dimension de paroles prophétiques parfois. Dans les formes du savoir et de leurs besoins, cela permet de dire quelque chose comme si cela avait toujours été su et été. Comme dans des formules de rêves, des anagrammes ou des algorithmes ou formules de chimie, « dans une dimension de l’ « avoir été » Sorte de formule du temps qui se condense en résultat et bribes de langage. En métaphore plus corporelle et incarnée, plus près du sens courant, on peut parler de la restitution d’une réalité en forme d’un organe auquel on donne des membres. C’est-à-dire une dimension suffisante pour incarner le temps, et comme la vraie réalité, et lui donner des membres pour figurer les articulations et le mouvement. Cette façon de faire donne une véritable incarnation et présence à la personne. Elle incarne la personne dans son espace et son être présent et la met comme en parallèle de soi. Cela est d’autant plus nécessaire, qu’on ne peut pas savoir à distance ce qui s’est passé pour la personne, dans un concept d’événement et de temps, mais aussi dans « l’inter espace » temps et d’espace de ses situations. Pas suffisamment d’êtres, hélas, sont introduits à cette dimension de conscience, et à leur capacité de prise, à partir de leur « être là » bien ancré.

Étudier les différents espaces de transactions entre les personnes

La notion de sentiment et de perception du monde par le corps, sont donc à reprendre et à relativiser. Car l’être humain est un être spécial, et si on peut dire mythique à sa façon : il est lié à la temporalité et à la notion d’évolution, de façon exceptionnelle. Il est un être d’espace/temps, et pas seulement une constitution sur place de sociétés. Dans cette perspective ainsi comprise, on peut rentrer en conscience et correspondance avec une vue plus étendue du fonctionnement mental et de ses implicites. On peut essayer alors de comprendre comment s’effectuent des formes de correspondances entre des niveaux différents et des espaces différents, et dans des transpositions. Car la notion d’espace renvoie aussi à celle du temps. Du temps où j’ai perçu ou ressenti quelque chose, c’est-à-dire perçu ou reçu une information. On peut essayer alors de comprendre comment s’effectuent des formes de correspondances entre des niveaux différents et des espaces différents, et dans des transpositions.De même je reçois une personne et la perçois dans son attitude, et comme se tenant dans un lieu spécifique. Le type d’information qui en découle est un renseignement sur l’espace, le lieu où je suis, et l’effet qu’elle me fait et comment je la reçois. Mais je ne suis pas obligé de rester figé dans l’image et imagerie de cette rencontre. De cette notion d’espace, de réalité et de concret, naît une façon vraie d’être réel ou incarné, ou de s’incarner dans le besoin des situations.

Je prendrais pour illustrer les paroles d’une personne que j’ai reçue en séance, qui m’a fait comprendre le décalage qu’il y avait entre elle et moi, et comment elle me percevait comme une image à distance et hors de toute présence. Elle avait du mal à réaliser que j’étais présent et bien là, parce que je n’étais pas présent physiquement au lieu où elle avait figé l’image de notre rencontre. Sa réalité à elle, en face de moi, était de ce fait perturbée. Nous avons donc travaillé sur la notion de distance dont elle était porteuse, et qu’elle n’arrivait pas à casser. De ce fait, elle était une présence « non là », toujours critique et en difficulté. Le modèle que nous avons à pratiquer est donc en lien avec notre capacité à instaurer de la vraie présence en face de soi, comme étant en face de quelque chose ou de quelqu’un qui nous renvoie l’existence de sa présence, mais aussi le reflet de la nôtre, de votre capacité de reflet, de résonance et d’attention. Sa traduction fondamentale de base est donc bien de nature psycho-physique et concrète, avec son correspondant mental bien incarné, mais aussi son interdépendance. Retenons donc avant tout dans notre pratique, notre présence et qualité de présence à nous porter présent, en face de soi, et de porter et considérer ce qui l’est. C’est l’ensemble de cette échelle ou transposition que j’ai choisi de coder et de considérer, un lieu entre ciel et terre, ou pris entre deux espaces concrets.

Les traductions et les modes de perceptions se font de façons différentes, selon l’espace et l’univers commun où vous vous trouvez, et sont marqués par le contexte et la façon dont il est présent à vous. On peut dire que « votre mode de présence vous suit ». On est là en présence d’une représentation implicite, sans mots et muette, qui fait que l’on photographie sa propre présence et son mode. Comment comprendre cette approche, cette chose en soi ? Comme une forme de métaphore incarnée ou d’image mentale réelle en soi cherchant sa réponse ? On est bien là comme entre deux présences qui s’affrontent et se font face, et qui cherchent leur union. Mais les images qui se déroulent ont une durée, comme un temps d’exposition. Elles se traduisent du dehors, par des images et impressions mentales à régler. Un des enjeux est donc la formation et l’image du concret et du maintenant. Les espaces de réalités ne sont pas imaginaires ou abstraits. Les questions que je me suis donc posées sont de savoir comment quelque chose se signale à mon esprit, comment physiquement il le code, l’envisage, l’enregistre, ou oblige à son attention ? Comment il va me forcer à une forme de présence ou de parole en moi et d’actualité, qui correspond à une forme de sensation physique correspondante réelle et vécue dans la réalité ?

Prise en compte des espaces intermédiaires qui nous traversent et nécessité de se relocaliser dans son corps

Nous sommes ainsi constamment confrontés à des espaces que j’ai choisi d’appeler des « espaces intermédiaires », dans la perception, la sensation, l’image, et la réception de l’information en mode de réalité globale. Espaces qui nous traversent et que nous transitons. La mise en perspective de ce transit des croisements et de rencontres, offre une perspective de confrontations ou de manifestations. Comme si vous réalisiez une dénivellation, et comme si regardant près de vous et en bas de vos pieds, vous vous mettiez à regarder au loin, et au-delà de l’espace présent de la fenêtre. Se forme alors une image que vous regarderez autrement dans votre position du moment. Cela oblige à se décloisonner et à être. Si vous réfléchissez, vous verrez que bien des états de sensations immédiates, de type émotions et sentiments, sont des formes et traductions d’ambiances et de perceptions, en mode automatique et de transition, dont la réalisation ne peut être effective. Pour le saisir, il faut partir de la situation la plus simple et la plus primaire. Comme par exemple, lorsque vous êtes dans un endroit avec quelqu’un, et que vous sentez que vous n’y êtes pas vraiment. Où êtes-vous ? Vous pouvez parvenir à vous rapparier en vous posant cette question, mais sûrement pas en vous laissant dériver, comme si vous étiez en vous, ou à l’intérieur. Vous pouvez sentir que vous n’êtes pas bien parce que vous avez des pensées sur le lieu, ou bien une présence avec quoi vous n’êtes pas en harmonie. Mais vous ne pouvez ni ne savez quoi dire ni traduire ce mode d’inclusion et enfermement. Vous êtes cependant sous l’effet et la gouverne de perceptions fortes et pesantes. Vous ne pouvez pas non plus dire que vous êtes ailleurs ni pourquoi, le plus souvent, ne serait-ce que par habitude de convention. La traduction se fera sur un mode image, qui a un potentiel de perception et mouvement, que vous pouvez traduire par un son, un cri, une parole. Mais pouvez-vous vous l’accorder ? Il s’agit donc de traduire cela et à minima, pour pouvoir vous rapatrier dans l’espace commun ou du maintenant, ou vous rendre compte des conditions de malaise dans vos besoins d’actualisation de votre présence actuelle.

Cela m’a amené à concevoir une théorie globale des perceptions, dans des espaces et des présences précis, auxquels on peut associer des idées ou photos distinctes, traduites en images. Ce qui m’amène à étudier aussi l’écart entre ces images et perceptions, et notre présence, en forme de cadrage. Comment perçoit-on ? Et comment concevons-nous ce dont on ne peut se faire qu’une idée globale, en rapport toutefois avec ce que nous percevons de l’espace et du concret ? Cela constitue des niveaux et des espaces de traduction à prendre en compte. Mais pour parvenir à s’en faire une idée, il faut d’abord acquérir des notions implicites en termes de langage des perceptions et des images, pour comprendre comment le cerveau code l’espace, les distances et les présences, que nous pouvons appeler aussi « champ ». Prenons l’exemple d’une personne qui va me parler comme si nous étions deux différents, en image plan fixe. C’est vrai à un certain niveau de distance et de représentation. Mais elle ne peut nullement imaginer comment nous sommes distincts ou différents, si ce n’est dans l’expression ou les manifestations du moment. Il faut donc rapatrier la personne dans ses modes et son actuel, mais aussi lui faire envisager de vrais espaces et de vraies différences et ne pas s’en tenir à l’imagination psychologique figée. Il faut aussi pour cela esquisser soi-même le mouvement de se localiser et d’aller vers elle, pour aider la personne à se localiser dans sa situation propre. Pour prendre un autre exemple, une personne va me dire quelque chose en faisant un grand effort pour que je comprenne et que cela soit bien dit. Il est à ce moment essentiel de savoir ce qu’elle pense et veut dire, par ce qu’elle dit et comment elle le dit, pour la singulariser dans sa manière et son attitude, et donc la photographier totalement dans ce moment et manière d’être elle. Et il me faut aussi extérioriser une pensée, une conception, une image globale sur sa situation et sa présence, pas facile à habiter, incarner et projeter dans un espace concret. Ainsi, l’idée, la représentation imaginative et idéique ou symbolique totale, de type parole, va devenir réelle et concrète dans la présence de corps et de lieu de la personne.

Il sera alors primordial de relocaliser la personne dans son corps, dans sa présence, dans le lieu où elle est, et comme elle y est ; toutes choses qu’elle ne peut ni ne sait vous décrire.Il sera alors primordial de relocaliser la personne dans son corps, dans sa présence, dans le lieu où elle est, et comme elle y est ; toutes choses qu’elle ne peut ni ne sait vous décrire. On peut ainsi l’aider à voir plus à quoi elle ne pensera pas, comme si son seul résultat était d’être là. Car ce sont les espaces du comment, du avant, du maintenant et tout de suite, qui sont importants pour elle, comme pour nous. En effet, ces espaces ne sont pas seulement des espaces de présence et du fait de s’être transporté là, soi et ses espaces mentaux. Ce sont aussi des espaces de transcendance. Ils constituent à eux seuls, ne serait-ce que dans la démarche et l’idée, et le chemin ou trajet fait pour être là, une pré-expression de l’image, idée, notion et parole venues pour faire exister. La transcendance est dans le résultat. Ainsi, si une personne est gênée en votre présence, l’important n’est pas de la mettre à l’aise, ou pas seulement, ni de considérer que quelque chose dans votre humeur et attitude du jour n’est pas avenante. Cela ne suffit pas. La personne est dans un effet miroir et absorbant, de type transcendant et impulsion de présence et de présent. Elle propage et projette chez vous, en votre présence et lieu, l’ensemble de son contexte et absorption dont elle est porteuse, avec sa gamme et sa complexité de sentiments et le fait et l’acte de l’avoir porté jusqu’à vous. Ces éléments sont faits pour être livrés chez vous dans leur transe, transcendance implicite, résultat, et en votre présence. Vous êtes sa transcendance ou sa représentation, au sens où vous figurez ou êtes son intention.

Mais tout peut se dérober ou se dissoudre. Ce qui est alors indicatif, ce sont les gestes, les attitudes, et les perceptions perçues de la personne, sans que vous disiez quelque chose, ce qui vaut pour une représentation totale en soi et sa réalisation, dans la réalité qu’est la personne, et pas seulement l’expression verbale exprimée par la parole. Vous ne devez alors pas seulement vous mettre en position psychologique d’écoute et de décodage. Vous êtes d’abord un corps existant dans votre espace d’accueil, comme étant totalement vous et votre corps. Vous êtes comme dédié à être disponible ou à fournir la disposition. On est là pour ainsi dire à un niveau de transe et de présence physique, immédiate, involontaire, potentielle, très intéressant, cultivant les rapports d’intuition, hors processus de conversation, mais en processus de perception et de correspondant image, de ce qui se passe sur le moment. Ce sont ces types de conditions qui font que les personnes perçoivent avec leur corps, comme d’un instrument et comme d’un filtre préalable. Pour que les personnes puissent se remettre et réaliser l’espace transitif, dont elles sont porteuses, et ce pourquoi elles font le trajet, avec prévention éventuelle ou préoccupation. Et pour qu’elles ne soient pas dans la gêne ou qu’elles la dissolvent, et ne restent pas dans le convenu ou la sophistique de dénaturation que dresse l’imaginaire des comportements sociaux et leurs effets verbaux non contenus. Nos comportements n’ont pas à être des boîtes vides, comme quand on dirait bonjour pour se débarrasser ou sans même avoir regardé autrui, en pause sur image ou zapping de la réalité.

La mise en perspective est donc le contraire du plat ou d’une mise à plat, et peut s’imaginer comme étant le fait du regard d’un observateur muni d’un microscope ou d’un macroscope réglable, permettant une mise au point du regard mental dans la situation, et mettant d’abord à distance pour régler et voir de près. Cela revient à régler son espace de réception. Cela signifie aussi qu’il faut pouvoir être conscient des mises au point que peut demander le fonctionnement mental dans ses réalisations et compétences, comme si nous étions dotés d’un appareil très puissant et complexe, dont nous devons pouvoir apprendre les façons de bien en disposer. Ou si on souhaite parler d’à-plat ou de mise à plat, c’est plus dans le sens de permettre un développement, une forme de vision plane et étalée devant l’esprit, permettant un déroulé dans le temps ; un temps pour s’organiser, être présent et comprendre. Alors le temps se met à valoir comme un espace et réciproquement. Il n’est plus vide, mais peuplé et présent de quelque chose. Prenons cependant le soin de préciser que la vue trahit ou peut trahir l’écoute, mais aussi éloigne de la capacité de se fier à l’entendement. L’entendement étant à comprendre comme des unités de réalité de la compréhension. Ainsi, se mettre en contact avec l’entendement est plus proche de se réaliser en se mettant en mode de scrutation, et en fermant les yeux, pour se tourner vers ce qu’on comprend et pense comprendre dans une projection potentielle future par rapport à l’advenir présent. C’est là une traduction supérieure par rapport à la perception immédiate visuelle et des espaces ou de la pensée circonstancielle et du moment. Il faut pouvoir se déconnecter des imprégnations immédiates et collantes. Ce qui fait comprendre qu’on ne voit ni ne perçoit jamais le tout de ce que l’on voit et constate. Mais aussi qu’il faut toujours pouvoir se rapatrier et se localiser au sein de son entendement. L’image de voir, les yeux bandés est ainsi une bonne image des capacités et nécessité de vision par son esprit.

Langage implicite et monde de relations ; vers une nouvelle écologie mentale

Nous pouvons en conclure que nos perceptions et observations constituent une forme de langage et de relations implicites au milieu environnant où nous sommes et évoluons. En comprenant que s’en forment des idées implicites, comme des résultats. Mais en comprenant aussi que les choses marchent comme à l’envers, comme un tapis ou un grand ruban qui se dédouble et se déroule, en perception inverse du traversé et du vécu transitif. Même en mode de récit ordinaire et en images et impressions retenues et rapportées, il y une visite en mode « revue » au moins implicite, dans la fabrication des images mentales et vocales et des souvenirs du présent proche. Une forme d’amalgame et d’homogénéisation se fait par la suite, dans la poursuite du déroulement du temps et de sa récurrence. Je reviendrai là-dessus plus tard, à travers d’autres textes. Car il est aussi important d’examiner, à partir de là, comment un milieu social ou humain l’est, pour nous et en rapport avec nous, pas seulement au sens du sentiment, mais comment il nous inclut dans son périmètre propre. Nous devons nous interroger sur la manière dont le milieu social est pour nous et avec nous, une forme de langage d’images et de reflets ensemble, pouvant aller jusqu’à des formes de saturation, de vertige ou type de dépersonnalisation, comme dans certains grands magasins.Nous devons nous interroger sur la manière dont le milieu social est pour nous et avec nous, une forme de langage d’images et de reflets ensemble, pouvant aller jusqu’à des formes de saturation, de vertige ou type de dépersonnalisation, comme dans certains grands magasins. Nous avons là une image grandeur nature de la temporalisation, et des espaces transités et traités, dans notre mémoire des expériences. S’en dégage des formes et des principes, comme à rebours et dans des espaces de passage. Certains sont plus parlants et remuants que d’autres, comme les grands halls de gare, par exemple. On voit donc que si on a la patience de manier la description et l’observation, ainsi que l’induction dans ses formes plastiques, on entre dans une forme d’univers très intéressant, à l’intérieur duquel la personne devient un peu plus acteur de son présent. Cette sorte d’univers à double qualification et grand ensemble, est difficile à décrire mais très intéressante car elle joue sur des espaces et des dimensions physiques et temporelles dans leur mode d’incorporation et de vécu, qui sont alors bien plus grands que ceux que nous imaginions en convention. Les espaces intermédiaires et leurs modes incluent en effet les espaces de présence, mais aussi l’avons-nous vu leurs transits. Si on examine ce point de vue et qu’on en fait des coordonnées et une sorte de tableau de bord, on voit, perçoit et comprend que le langage, qui est un appareil de perception, de détection et de conscience, en permanence éveillé et demandant sans cesse des mises au point, joue un rôle fondamental en tant que médiateur et intermédiaire de notre conscience et perception. Il dit aussi ses modalités. Ce rôle n’est pas seulement abstrait ou intellectuel, mais bel et bien physique, et implicitement concepteur. L’important est donc de comprendre comment le langage joue ce rôle, sur ce plan et en rapport avec sa spécificité. Rôle qui est d’une certaine façon essentiellement concepteur, mais aussi planificateur. L’univers alors s’ouvre à son double, son possible, au-delà des images et imaginations conceptuelles et de la conscience courante et implicite.

Le fait que nous ayons un appareillage fonctionnant ainsi nous met en permanence en contact et en rapport avec des images qui sont « comme si elles devaient nous dire quelque chose ». Ce sont des images de langage potentiel futur. Des amorces de conte. Les appeler des métaphores ne suffirait pas. Il vaut mieux parler d’images mentales, dans son besoin de traitement et de traduction et de l’ensemble de ses traductions. Nous y sommes aussi constamment convoqués, et pas seulement avec notre vision mentale, par ce qui se passe, avec ses échelles de niveau et ses décalages que nous devons traiter et opérer comme capacitaire. Notre corps est présent à soi et nous le sommes à lui et avec lui. Mais nous devons également le rapatrier, le collecter et le contacter. On est dans un univers qui a une forme de réciprocité ou de double qualité, voire compétence entre percevant/perçu. Nous devons en réaliser la synthèse et le rapatriement sur la base composée par notre corps et notre présence. Ce qui nous projette dans cet autre espace que compose notre réalité mentale. Intégrons alors l’ensemble de notre espace et fonctionnement, à l’intérieur de notre réalité de receveur. Comme si le schéma receveur et concluant de son corps recevait avec une sorte de cellule ou molécule, en plus de son cerveau, percevant et recevant. J’en viendrais ainsi à parler d’une notion de perception et de langage muet dans nos relations et contacts et dans nos opérations de perception, qui permet d’associer « le langage physique » et ses exigences en mode de perceptions essentiellement externes, ses recevabilités et ses échanges. Ces conditions accroissent notre précision et ses qualités. La traduction de ce langage nous indique ce qui se passe et ce qui se convertit, pour que nous puissions éventuellement le communiquer à quelqu’un d’autre. Ce qui n’est ni immédiat ni automatique. Dans cette position implicite, de traversée et transversalité, voire de transit, nous avons une position de témoin et de présent et d’observateur particulier à exercer.

Il nous faut donc faire le saut et le relevé de niveau de ce type d’information, en rapatriement et actualisation auprès de nous, pour comprendre et situer comment nous sommes inclus dans le monde de nos présences et perceptions cérébrales, dans ses formes de découpage et ses façonnages, au gré des données et du temps. La conscience se fait quand nous regardons vraiment. Cette question du regard vrai est essentielle, car on ne voit pas des perceptions et des images du monde environnant, mais leurs traductions dans un mode et un monde particulier, qui ferme momentanément les perceptions entrantes du corps, pour passer dans l’espace transitif des présents, et dont notre corps est cependant porteur. Entraîné, on perçoit beaucoup mieux ce qu’on perçoit et comment à partir du monde de la réalité environnante et des différents messages périphériques, en intégrant autrement le monde auditif et vocal et en le mettant en perspective « dans le monde futur ». On perçoit alors comme on voit et regarde « dans son cerveau », vers le lointain, à partir d’unités d’images et de représentations des choses abstraites ou du monde, qui sont plus ou moins innommables. Ce monde de transpositions qui devient alors vraiment peuplé et habité, est proche du langage en soi, de son bruissement, et proche du Nom. Mais aussi proche des états d’humeur en soi et des transcendances. Etats qui permettent à leur tour de nommer et désigner les choses et de les désigner dans leur transcendance externe, mais aussi pouvoir les éprouver à partir de cet interne inclus qui est soi. Ce qui nous fait dire, par effet et déduction inverse, qu’une chose bien nommée et bien vue par l’esprit, est une chose bien vue ou perçue par nos perceptions et captures de l’espace en immersion. Ou encore bien captée par nos vibrations. Le mot « chose » est plus précis que le terme « symbolisation » plus souvent employé, car le nom se dérobe pour filer vers le nommé. Le monde où nous sommes devient donc perçu comme un monde de relations et de mises en relations. Il nous invite à être créatif et à construire des corrélations ou des formes de ponts. Et à ne pas nous contenter et accepter des lectures codées et cloisonnées sur les maux et les images de notre société. Le discours ambiant et communément validé sur la dépression, érigé en cause de santé publique, peut laisser rêveur. Quand on voit la fabrique mentale et sociale des dépressions de nos sociétés, et l’importance accordée à ce syndrome érigé en cause de santé publique, et codifié dans un monde si médicalisé dans ses conceptions, on se prête à rêver.

Il n’est cependant pas facile de percevoir ou conceptualiser comment ce monde ou cette base se conforme selon chacun dans ce qu’il est, et dans sa façon d’être dans sa complexité. On peut cependant le décrire de façon générale ou tenter de décrire le processus. Tout ce qui est conception en écologie contemporaine nous y invite cependant, au sens d’une conception plus large à concevoir à une échelle planétaire, l’échelle des différences et des espèces et leur interdépendance. Echelle, ordre et collection qui également nous englobent et nous comprennent. Tout en tenant compte des composantes du problème et de la distinction des parties, au sens macroscopique des évidences. Et bien qu’il faille faire attention aux mots trop pleins de sens qui retombent comme des slogans ou des étiquettes verbales. L’écologie sociale, qui est liée au travail et au monde de l’économique et des relations entre humains, et leurs univers constitués, semble y faire exception. Je veux dire par là que nous sommes forcés et contraints, de façon générale, de prendre en compte la nature à travers une étendue bien plus large de compréhension et d’entendement et de trace du temps, afin de considérer la vie devant nous et telle qu’elle est sous nos pieds. Nous sommes incités implicitement à devoir voir beaucoup plus large et plus grand ou autrement, et à être plus et mieux présents sur plusieurs niveaux de temporalité et de compréhension en même temps. Mais nous sommes aussi incités à devoir voir et percevoir, plus local et plus précis. Nous devons prendre conscience et source au-delà de l’univers social manufacturé dans ses équilibres et ses courbes en grands espaces de présence. Le chemin et l’étendue de nos perceptions et notre conscience est bien plus large que ce qu’on considère dans l’immédiat, en transit, transition et implicite. Cela dans une fenêtre étroite du temps où les sociétés humaines sont défiées dans leur existence et leur équilibre, par ce monde actuel et par l’évolution de la nature. Cela signifie que nous sommes invités à passer à une forme « d’écologie mentale », dans ses nouvelles données, pour tenter d’en concevoir les contours, ce qui n’est pas un saut simple.

Lucien Kokh, 28-02-2014

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