ARTICLE

Au-delà du burn-out
Rencontre

Burn-out : « épuisement progressif par successions de chocs ».

Il y a 4 ans, Vera était victime d’un burnout, après plus de 30 années menées tambour battant à l’intérieur d’une grande entreprise française. Dans un contexte où l’épuisement professionnel est souvent « tabou » ou méconnu, il n’est pas si simple de partager une telle expérience. Mais parce que d’autres salariés peuvent être concernés, et vivre comme elle, les prémices d’un burnout sans en prendre conscience, cette cadre placée à un poste à responsabilité a souhaité faire part des « leçons » de cette tranche de vie, et de la façon dont elle a choisi de se reconstruire petit à petit. C’est donc dans un état d’esprit apaisé, qu’elle accepte aujourd’hui de témoigner.

 

Introduction

Comment trouver les mots…

La ou les raisons du prénom inventé comme masque pour témoigner

Témoignage

Le burn-out : Le cadre et le masque et l’invention des mots pour le dire. Cas de thérapie et sa conception dans la réalité d’un burnout et de son constat chez un cadre d’entreprise de niveau élevé.

 

L’itinéraire de Vera

N. M. – Quel a été votre parcours professionnel ?

V. – « Servir la chose publique », cela a été engagement fort, suivi depuis des générations par ma famille. Au sortir de mes études de droit, je ne me suis donc pas posée trop de questions, et j’ai intégré une grande entreprise française dans ce domaine. J’ai gravi les échelons de l’entreprise un à un, jusqu’à manager des équipes de 50 à100 personnes, puis exercé des métiers orientés vers les salariés. J’ai accompagné de nombreux changements : organisationnels, de reconversions professionnelles, sur les modes de management….Et j’ai pu bénéficier de toutes sortes de formations, me permettant à la fois d’enrichir mes pratiques professionnelles et de répondre aux défis de l’entreprise. Ce qui me plaisait le plus dans ces jobs, c’était d’inventer des solutions nouvelles, défricher, me déplacer, découvrir de nouveaux mondes professionnels, piloter des projets innovants. Le côté très autonome des postes me plaisait aussi. J’ai pris toute jeune à me débrouiller seule, lorsque je vivais à l’étranger. Ce travail et ce parcours m’ont beaucoup apporté. Le temps a passé très vite. Seules les dernières années m’ont semblé des siècles. Je n’avais jamais connu d’échec auparavant… Je n’aurais donc jamais pu imaginer ce qui m’est arrivé.

N. M. – Vous vous décrivez comme une cadre dynamique, autonome… À partir de quand avez-vous senti que les choses vous échappaient ?

V. – Difficile à dire, car cela est arrivé de telle façon que je n’ai rien su voir, ni décrypter, et dans un contexte de fortes turbulences internes, où beaucoup de personnes de l’entreprise avaient perdu leurs repères. Et moi avec sans doute ! Toujours est-il que j’ai occupé des postes, avec des configurations toujours plus complexes et pointues, dans des climats de travail pas toujours faciles à affronter. Mais j’étais passionnée par mon travail. En revanche, plus je grimpais de niveau dans la hiérarchie et plus le stress montait. Tout cela a bien fonctionné, jusqu’au jour où j’ai refusé un ordre non éthique de mon patron. Du jour au lendemain, les problèmes ont commencé pour moi. J’ai été contrainte de quitter mon poste. Et je n’ai plus jamais retrouvé de mission, à la hauteur de mes compétences. C’est alors que je suis tombée malade, avec un premier arrêt de travail de 2 mois, suivi d’une rechute de 6 mois. J’ai repris ensuite le travail, mais j’étais complètement anémiée et épuisée. Je me suis tout de même accrochée. Je n’avais pas le choix.

N. M. – Comment expliquez-vous que vous n’ayez pas su vous protéger ou vous défendre, alors que votre formation de coach aurait pu vous permettre de réagir ?

V. – Cela peut évidemment sembler étonnant. Pourtant il y a des raisons à cela. Et elles pèsent de tout leur poids. Tout d’abord, concernant le burnout, il faut se rappeler que cette notion est relativement récente. Elle n’a jamais été abordée dans mes formations. Je n’avais donc aucune connaissance sur ce sujet. Comment se protéger de quelque chose dont on n’appréhende pas la gravité ? En parler, dire que cela existe, est déjà un pas vers sa prise en charge.

Ensuite, la posture et les connaissances d’un coach n’en font pas un être omniscient. Le coach est un être humain, vulnérable, avec des zones d’ombre dans sa compréhension des choses. Le ou les superviseurs qui accompagnent son travail sont là pour l’aider à y voir plus clair. Or mes superviseurs  n’étaient pas formés face à ce type de problématique. Ils n’ont donc pas vu le caractère critique de ce que je vivais.

Par ailleurs, vous soulevez ici la difficulté du «  dépistage » du burnout. Or, une de ses caractéristiques est que pendant longtemps, il agit à l’insu de la personne. Il est comme caché, « rampant ». Ses symptômes extérieurs sont la fatigue, une moindre motivation, comme une sorte de dépression…. Pris séparément, ses signes sont souvent banalisés. Mon médecin m’a arrêté seulement quand je n’en pouvais plus !

Enfin, me concernant, la passion du travail, l’ambition, les signes de reconnaissance que je recevais ont masqué mes difficultés. Sans compter que, je me suis construite sur des valeurs d’engagement, de dépassement de soi, qui étaient justement prônées par la culture managériale ambiante. Or, on n’attend pas d’un cadre qu’il dise qu’il n’y arrive pas ! Je ne m’inquiétais donc pas. Je me pensais à l’abri. Les accidents de santé c’était pour les autres. Il faut dire que je prenais aussi du temps pour m’occuper de moi, à travers le chant, le yoga, le massage….. Pourtant, avec le recul, je vois bien qu’une fatigue chronique s’était déjà installée, et qui était banalisée par les médecins qui me suivaient. Tout cela m’a donc empêché d’analyser les choses avec discernement. On se retrouve face à l’histoire d’un cercle vicieux où, plus vous avancez, plus vous êtes fatiguée, et plus vous êtes fatiguée, plus vous vous accrochez. Ce qui accroit encore votre fatigue, et réduit le peu de discernement qui peut vous rester.

N. M. – Avec le recul de votre thérapie, quels sont ces signes que vous n’avez pas su voir ?

V. – Des signes managériaux concordants d’une « mise au placard » d’abord. C’était sûrement trop douloureux, et surtout incompréhensible pour moi, puisque cette entreprise m’avait reconnue, formée, pendant des années. Suite au premier harcèlement, j’ai dû trouver un autre poste en interne. J’obtenais des rendez-vous. En entretien, on me disait que j’étais très compétente, mais au final, on ne me recrutait pas. Je n’ai su que deux ans plus tard qu’une rumeur avait circulée sur moi, complètement infondée ! Mais personne n’osait m’en parler… même ceux qui m’appréciaient, par peur de me blesser. Il y a bien un ou deux amis qui ont tenté de m’alerter, mais je n’ai pas su les écouter. J’étais dans une spirale. Jusqu’à ce que je tombe malade, réellement. J’ai ignoré aussi des symptômes physiques nouveaux, pensant que cela passerait. Jusque-là, lorsque j’avais des baisses de régime, je faisais une cure de vitamine et je repartais ! Là, c’était différent. Je commençais à avoir des crises d’asthme au travail. Puis j’ai développé une vraie maladie. Pourtant, lorsque je suis revenue en mi-temps, j’étais encore déterminée à retrouver un poste. La passion du travail n’avait pas disparu. Ou peut être étais-je déjà en mode «  survie » ? Imaginez que j’ai accepté un poste à plus de trois heures de chez moi ! Cela a duré trois ans. Et puis un jour, j’ai fait un malaise vagal.

N. M. – Comment expliquez-vous le fait que vous soyez parvenue à tenir si longtemps ? N’aurait-il pas été normal de demander de l’aide à l’intérieur de votre entreprise ?

V. – J’ai je crois beaucoup de volonté. Et j’aime travailler. Cela m’a donné l’énergie nécessaire pendant longtemps. Ensuite je ne voulais pas être exclue, étiquetée «  bras cassé ». J’avais vu plusieurs cas autour de moi. Or j’étais déjà exclue à ce moment-là. Mais toute une partie de moi refusait de voir cela. Toute une vie d’engagement pour finir comme cela, c’était insupportable ! Mon cerveau refusait de voir l’évidence. Heureusement, à ce moment-là, une amie m’a parlé d’un thérapeute, psychiatre et psychanalyste, qui connaissait bien le monde de l’entreprise. C’est ainsi que j’ai rencontré le médecin qui est parvenu à faire fondre ma « carapace », à force de patience, de silence, voire de provocations, pour me sortir de mon isolement, et me faire prendre conscience du rôle que j’avais joué dans cette histoire.

N. M. – Vous vous en êtes sortie aujourd’hui. Quel est le message que vous souhaitez faire passer à travers ce témoignage ?

V. – Quand je lis sur Internet la littérature sur le burnout, je suis saisie par les propos souvent fatalistes pour les salariés. Vivre un burnout est une épreuve personnelle terrible, il est vrai : on entre dans une spirale de confusion, on ne sait plus qui on est, le corps répond absent, il est comme « cassé », après avoir été sur-sollicité et s’être sur-adapté pendant trop longtemps. Pourtant, je tiens à transmettre un message d’espoir. Mon expérience personnelle montre que l’on peut se reconstruire. Ce n’est pas facile, loin de là, mais c’est possible, avec le temps, et à condition d’avoir un accompagnement adéquat.

Le docteur K. a ainsi essayé de me ramener dans la réalité, en me rapprochant de mes sensations. Il a fallu beaucoup de temps, avant que j’accepte d’être réellement aidée. Au début, je n’étais qu’un « tas de honte ». Je me plaignais continuellement. Un jour de « Calimérite aigue », il m’a dit : « vous êtes déprimée, eh bien, soyez-le ! Soyez vous-même ! »  Tout d’un coup, je me suis enfin sentie entendue. J’ai retrouvé le monde des vivants, et j’ai pu enfin pleurer en rentrant chez moi. Il m’a fallu ensuite 3 années de travail sur moi,  pour retrouver une forme de liberté, face à moi-même, et au regard des autres. Son humour, son infini respect pour là où j’en étais, pour ma personne, ont été déterminants pour moi. Je parviens maintenant donner du sens à ce qui m’est arrivé.

Il ne s’agit pas pour moi d’accuser mon entreprise. Car j’aime réellement le travail et le milieu de l’entreprise. Mais de réfléchir à mon propre rôle dans cette histoire. Comment ai-je pu ne pas voir que quelque chose n’allait plus et que j’allais progressivement dans le mur ? Qu’est-ce qui a fait que je n’ai pas pu freiner et éviter la catastrophe ? C’est toute la question que je me suis posée. Les réponses m’ont ouvert les portes de prisons que je portais en moi depuis des années, et qui me gâchaient la vie. Aujourd’hui, je suis sur le chemin de la reconstruction, et je compte bien reprendre mon travail, en apportant ce que je suis et les valeurs que je véhicule, et que je veux pouvoir apporter à l’entreprise. Ce sera ma part de valeur ajoutée.

propos recueillis par Nadine Mouchet

voir le témoignage de Vera et Lucien Kokh au Cercle François Arfel (vidéo)

Lucien Kokh, 04-02-2015

COMMENTAIRES

  • Dr Bertrand MOURA dit :

    Mise en parole très claire et abouti de ce processus de « burn out » dont la difficulté pour tout soignant est de le desceller avant la « grande crise ». j’y suis régulièrement confronté dans ma pratique médical avec un schéma de personnalité qui est souvent le même: jeune adulte perfectionniste, travailleur, qui n’a que peu connu l’échec ( et qui ne l’envisage pas), qu’aucune mission ou obstacle professionnel ne fait plier, et peu réceptif à l’introspection spéculative ou à l’idée de s’écouter autrement que comme un être performant. En tant que Rhumatologue, la lombalgie , les douleurs diffuses, l’asthénie sont des symptômes qui se retrouvent assez régulièrement dans cette entité. La difficulté est de faire accepter l’arrêt professionnel quand il est encore temps, quand le malade préfère régler le mal par le mal et redoubler de travail !!

    • Lucien Kokh dit :

      Merci beaucoup d’avoir pris le temps de la lecture et du commentaire de la part d’un médecin si attentif et si soucieux des personnes que vous, et si bon médecin à tous les sens du termes. Cela apprend à tous et permet de témoigner en termes utiles et respectueux, pour les personnes et pour ceux qui s’intéresse à la vie des gens dans leur contexte de corps, de fonctionnement, mental, de type de personnalité, et de réalisation sociale.

  • jacques barbier dit :

    Les personnes passionnées par leur travail, animés d’idéaux de travail bien fait et du soucis des personnes, sont les plus vulnérables – paradoxe ? – aux dérives immorales de managements déloyaux bien que « légaux ».
    Ces personnes n’imaginent pas que leurs pairs puissent ne pas partager ce but du bien commun par delà les rivalités et les conflits divers.
    On n’est trahi que par les siens, dit le proverbe, en effet l’adversité et le combat avec les adversaires ne s’appelle pas trahison.

    Ce qui est trahi c’est le pacte de civilisation plus qu’une atteinte d’amour propre et j’ai constaté aussi que ces configurations provoquent des effondrements psychiques bien plus que des « états dépressifs ».
    Le travail psychothérapique avec la psychanalyse – entre autres ressources – prend une autre dynamique que les cure de « névroses » .
    L’évolution chronique est la règle en l’absence d’une thérapie telle que le Dr K l’a entreprise.
    Ce témoignage associé a celui du thérapeute mérite une diffusion.

    • Lucien Kokh dit :

      Le Docteur Barbier est psychiatre et je le dis pour le nommer, car il est important de repérer la place d’où certains parlent, car elle détermine beaucoup de choses consciemment et inconsciemment. Et bien plus que les personnes ne se l’imagine, car souvent parlant de quelqu’un chose ou d’un thème qui les intéresse. Mais la question est souvent qui les intéresse comme quoi? Ou comment. Codifions un peu les choses, comme des moments de réalité. Et cette question, vu de ce point, la plupart des personnes sont en mal de la nommer ou la poser. Je le dis car il s’agit aussi de concevoir la vie des personnes dans l’espace social et dans leur espace de vie. Et aussi du point de vue de leurs mentalités et types de mentalités souvent très cloisonnés et systématisés. Au point que les gens sont souvent « sociologue »,ou « politologue » sans s’en rendre compte.

      Nous avons nous affaire comme médecin et psychiatre, de notre place, à des personnes. Et ce qui nous importe est comment nous y avons à faire, et pas seulement nos titres dans l’ensemble ou nos compétences d’ayant droit, en mode de « noblesse d’expert ». Ce qui n’empêche pas de cultiver notre expertise par amour de domaine et par envie d’intérêt. Ce qui peut présider au choix d’un métier qui vous accompagnement éventuellement toute votre vie, ou la plus grande partie.De plus nous sommes situés sur un mode de modèle de consultation libre et volontaire, conseillé à partir de réseaux implicites de recommandations dans notre position et situation sociale. je veux dire que nous ne sommes pas des hospitaliers. Nous sommes et intervenons dans et à partir d’une certaine place, mentale et sociale. Je pense qu’il est bon de rappeler ces données en mode de recadrage et de projection sociale. Et de plus nous avons la liberté et la responsabilité de nos formations et leurs élaborations en mode, méthode, expérimentation en psychothérapie.

      Sur le plan du modèle et du positionnement, justement, on peut comparer cette position ou disposition, avec ce qu’on peut comprendre comme intervenant dans la structuration, maturation imagination d’un esprit jeun. Je veux parler de la présentation et du modèle du choix de type vie professionnel et implicitement d’avenir. Et construction et dotation de ses moyens en vue d’un avenir et pour sa personnalité. Choix ou espérance de choix ne serait-ce que pour commencer à structurer sa personne et avoir une « identité sociale » en tant que « quelqu’un » dans son épopée sociale. Au moins comme image ou schéma mental de départ dans la constitution et vision de son esprit et évolution de sa personnalité. « une carte de début de route », en devenir soi.

      Ce schéma mental, c’est ce qui m’a fait m’intéresser aux personnes, à partir de leur catégorie d’être et du tout venant en mode d’évolution et de classe d’age. Ce qui peut faire glisser d’une position de psychiatre ou de psychothérapeute de ville, non institutionnel, non hospitalier, vers une position et situation potentielle d’ethnologue ou d’anthropologue. Et c’est ainsi que j’ai créé une société dans cette perspective, qui en parallèle à ma pratique psycho-médicale fr cabinet, m’a permis d’expérimenter pendant dix huit ans, officiellement, mon expérience et mon travail d’élaboration dans ces domaines de la vie économique et sociale des gens, en dirigeant une petit société. J’avais commencé déjà bien avant.

      Oui c’est vrai que les personnes on envie « d’aimer », et pas seulement comme le clame la chanson. Et de se trouver engagé et respecté. Et que la psychologie des entreprises implicitement au moins joue un grand rôle dans l’orientation des envies et des mentalités en induction dans la vie sociale courante. Mais aussi en diffusant pas mal de message dans la société civile et dans l’esprit des gens, et pas seulement sur le plan officiel du marketing. Des personnes peuvent y laisser leur santé, certes. Encore faut-il se demander ce qu’elle peuvent faire pour ne pas s’y prendre et faire prendre. Comment se constituer en état d’alerte et de gestion de soi et de ses émotions pour pouvoir être en veille de soi? Et concernant leur type de qualité, et d’intensité. On est là face à une analyse et une distinction intéressante à faire avec la notion très répandue du stress et y compris de ses traductions étudiées en modes psychophysiologiques.

      Je pense qu’il est important de témoigner, sans accuser ni forcément maudire, ce qui ne veut pas dire qu’on ne comprend pas les excès, les aveuglements, les mécanismes d’entrainement et/ ou de manque de courage de certains managers, ou responsables, qui appliquent des méthodes ou répercutent des ambitions non raisonnées au dépend de pas mal d’autres. Mais je me suis placé pour ma part du côté de la société civile et de la présence à partir d’elle. Et dans cette position, dans la perspective de l’augmentation de solidarités dans les formes de conscience et de liens. Entre compétences diverses et pas seulement en mot valise « grandeur nature » comme « pluridisciplinaire » de quelque chose. Ce sont les gens, les mots et les choses, qui m’ont guidé, et pas seulement les mots ou des discours « sur » les choses et gens.

      Et je pense que le développement de nouvelle thérapies, passe pas l’intérêt pour beaucoup de connaissances. Mais comme on aurait un intérêt pour des personnes. Je ne pense pas m’attaquer « au gros du mal », mais aux liens à nouer pour cela. Dont celle de la personne, qui est témoin d’elle, humain et social, et qui doit, comme tel, se mettre en chemin de concevoir ce dont elle a besoin. Ce qui est un vrai travail dense et énergique de construction et d’élaboration à fournir. Et donc aussi comme tu le dis cher Jacques un enjeu modèle de société ou de civilisation dont il est bon de s’investir. Mais pour cela il faut ouvrir pratiquement. Ouvrir, construire, et décloisonner le plus possible aux besoins et conceptions de besoins en réseaux, et pas seulement en domaine d’experts abrités derrière des cloisons. Lier et tenter de relier. Et pour la personne, l’ouvrir à la reconquête, d’oser être, se montrer et exister, et retrouver des assises de bases essentielles comme témoin d’elle et plaisir de vie. La dimension du témoignage, conçu comme positif et reconstruction sociale, me parait importante de ce point de vue.

      J’espère que d’autres collègues dans ton et notre domaine voudrons bien aussi, trouver les mots, pour partager, de leur place ce qu’ils pensent et expérimentent des personnes atteintes de burn out ou dépistées en risque de l’être.

      Merci, Lucien KOKH

  • Patrick Cingolani dit :

    Bonjour, et merci pour ce témoignage qui comme tel est aussi un partage d’expérience, éclairant pour ceux qui ne sont pas spécialistes de l’aide ou de l’accompagnement de la détresse ou des difficultés psychiques. Mais justement j’interviens ici d’un autre point de vue, en écho d’ailleurs à d’autres demandes. Pour que ce témoignage puisse aller au-delà du partage d’expérience et engager un processus critique, sans doute faut-il aussi interroger les dispositifs objectifs qui ont été mis en œuvre dans le mécanisme qui a conduit au burn out. Sans doute le ressentiment est mauvais conseiller, et je respecte tout à fait la position de la personne qui témoigne, mais on ne peut, il me semble, se tenir à une lecture « internaliste » même si elle a été objectivée dans le rapport au praticien. Dans une perspective aussi « externaliste », il ne s’agirait pas tant de chercher des responsables que de repérer les dispositifs qui vont sciemment à l’encontre du bien-être de la personne qui travaille. L’entretien se passe essentiellement dans un retour sur soi et néglige le retour sur les faits, sur les mécanismes de harcèlement et de placardisation. C’est là où il pourrait y avoir un nouvel effet du témoignage en lui donnant une dimension d’identification non plus tant de ce qui est psychiquement repérable mais aussi de ce qui s’est passé en termes d’organisation et de savoir-faire ayant pour finalité de nuire.

    • Lucien Kokh dit :

      Merci beaucoup cher Patrick et ami et merci de livrer cela à un effort de pensée, de rétrospective et de mode de considération,
      en retours sur les personnes au sein des situations. Et aussi dans une réflexion tourner vers comment aborder les questions ou les perspectives du tu soulève.

      Lucien

  • jacques barbier dit :

    Je précise que la clinique qui me guide dans le même temps que je reçois une demande de consultation en psychiatrie pour des symptômes qui « font souffrir » singulièrement une personne, est celle de la description et mise en récit de la situation contexte.
    Cette situation décrite est sujette à des perspectives diverses, source d’analyses distinctes, bien que liées à la question posée par le « cas »clinique qui motive la consultation.
    Cette ouverture inclue la dimension névrotique a priori, comme pour tout le monde, mais ne la privilégie pas.

  • Astrid dit :

    Bonjour, j’ai été témoin d’une situation de souffrance au travail, où diverses instances collectives adéquates ont été sollicitées. La lenteur des interventions et de la mise en place des rectifications nécessaires à la santé du personnel de la structure a en même temps laissé les personnes chacune seule, responsable de chercher à répondre à ses besoins de restauration d’équilibre de son côté. Aussi je conçois les deux approches « internalistes » et « externalistes » comme indispensables et complémentaires.
    Dans le cas cité, certains cadres ont pu quitter l’entreprise à temps. D’autres se sont débattus, soutenus par le médecin généraliste, le médecin du travail, le psychologue ou psychiatre, la direction départementale du travail…etc. … : l’escalade du mal sur l’individu n’a pas pu être enrayée, possiblement par un manque de travail en réseau des différents intervenants dans le soutien, comme le mentionne plus haut Lucien Kokh.
    Merci à Vera de faire part de son expérience, si éprouvante. Merci aussi de témoigner du résultat constructif de son cheminement d’accompagnement, ouvrant sur une perspective d’apport de valeur ajoutée.

    Je le reçois comme antidote au fatalisme, et porteur de perspective et d’espoir pour d’autres.

    Dans le cabinet de ressources humaines où je travaille je rencontre et accompagne des personnes venant réaliser un bilan de compétences. Beaucoup ont développé un bon socle de compétences professionnelles et personnelles, ont beaucoup donné à leur entreprise et souvent aussi reçu de la reconnaissance.
    Puis à une étape plus loin les voilà qui traversent une situation complexe. Parfois ces cadres font état d’une souffrance présente plus ou moins aigüe. Me voici témoin, en responsabilité d’alerter, d’orienter : certains acceptent l’éventualité d’un accompagnement en vue de développer leurs capacités à se préserver tout en voulant garder leur motivation à s’investir en entreprise. J’ai trouvé par internet quelques consultations spécialisées sur le sujet. Même si des symptômes objectifs de stress se manifestent dans leur corps, leurs comportements, leur état psychologique, ces personnes préfèrent penser avoir encore suffisamment de ressources pour faire face et reporter à plus tard. C’est difficile pour elles de poser le pas de consulter.
    Rassurer sur l’accueil et l’état d’esprit du suivi proposé peut faciliter la démarche.
    En effet comme savoir à qui s’adresser, autrement qu’en repérant des coordonnées sur un annuaire?
    Merci Monsieur Barbier de préciser votre approche. Elle ouvre la possibilité de mettre en confiance pour orienter vers un professionnel comme vous.
    Astrid

    • Lucien Kokh dit :

      Merci pour ce beau commentaire et témoignage bien posé et dosé et qui informe.
      Le réseau et sa construction dans l’intelligence de sa nécessité et pertinence, en dehors du prévu et du constitué, me semble être une culture
      positive du témoignage et du renforcement de l’envie de ne pas laisser tomber ou ne rien faire. La conscience et l’intelligence du réseau, dans ses liens et connexions réalise une intelligence en acte et vivante du fonctionnement mental et social. Aussi faut-il s’efforcer à sa construction, son faire savoir et sa pratique. Ce qui constitue aussi dans l’explicite et dans l’implicite, des transferts d’expériences valables, et l’intérêt pour ses transferts, et pour les modèles d’expériences implicitement vécues et partagées. Vera et moi travaillons effectivement maintenant sur l’intérêt et la dimension du témoignage. Il est multiple et c’est ce qui nous à convaincu dans « notre dialogue » thérapeutique, qu’il fallait à un moment en parler, comme pour retrouver l’air libre, et la compréhension d’autrui. Il est vrai par ailleurs que Monsieur Barbier est un des rares médecins que je connaisse qui semble parler de ses rencontres et sa façon de s’y prendre. J’espère que d’autres viendront, pour l’intérêt du dire et du témoignage, et de l’élargissement de l’espoir que cela constitue. Et que Le Docteur Barbier voudra bien éventuellement prolonger.

  • Macha Arfel dit :

    Merci à tous qui prenaient le temps du partage. L’approche interne et l’approche externe témoignent de la même difficulté : celle de mettre des mots, de formaliser et ensuite de pouvoir remédier à un dysfonctionnement des organisations. Il faut du temps pour comprendre ce qui se passe et trouver des solutions sur le plan individuel et collectif. Chacun est mis en obligation d’apprendre :ce qui lui arrive pour les personnes et ce qui se passe dans son organisation pour les managers .Il n’y a pas d’outils pour cet apprentissage forcé. La mise en place de la gestion des risques intervient longtemps après les faits ,alors que c’est déjà trop tard et que de nouveaux problèmes apparaissent dans une société de gestion qui évolue trop vite….sans « mettre l’humain au centre de la pensée »…comme le dit Lucien.

  • Michel Daigne dit :

    on sait que les langages symboliques sont en amont du langage des mathématiques et des langues naturelles,

    – aujourd’hui la tendance est malheureusement de réduire les langages symboliques au langage financier dirigeant la révolution du numérique,

    – le praticien médical est le seul en mesure de faire renaître un langage symbolique (signes, symptômes, syndromes, systèmes, signaux, etc.) s’écartant du simple langage financier, alors que les assurances tendent en général à les assujettir (voir les contrats imaginés par l’assurance maladie obligatoire pour contrôler la pratique médicale individuelle).

    – cette réduction symbolique pourrait bien ouvrir une boite de pandore dont les extrémismes religieux modernes exploitant aussi la révolution du numérique, sont une des manifestations.

    – la vraie bataille est la réappropriation de la clinique par les médecins, ce qui n’est pas possible sans une rupture épistémologique entre grandes disciplines universitaires et grandes écoles professionnelles donnant un sens humain à cette révolution du numérique, comme cela s’est produit lors de l’invention de l’écriture (révolution institutionnelle), puis de l’imprimerie (révolution industrielle).

    – la clé ou la recherche à faire est dans une approche innovante de la consultation, première pratique de la dualité personnelle & professionnelles de l’être humain,

    – ce qui représente un effort pour échapper à l’asservissement de l’être humain à la technologie (trans-humanisme, etc.) et à son assujettissement à la société (étatisation de la santé, etc.),

    – la personne évolue au cours de la vie avec les environnements singulier de la famille, plurielle de l’entreprise et neutre du territoire.

    – un des enjeux est donc celui de l’entreprise qui aujourd’hui est devenue paradoxale au regard de ses facteurs de production entre d’une part le flou créé entre la dimension personnelle et professionnelle avec les nouvelles technologies de travail, et d’autre part l’évacuation progressive dans les textes récents des apports médicaux dans la capitalisation d’ensemble d’une société.

    – l’heure est aux projets innovants associant les connaissances médicales à l’évolution personnelle avec les technologies du numérique à l’échelle de territoires de proximité, projets qui exigent une déontologie de haut niveau entre professions médicales, de l’ingénierie et de management.

    Michel Daigne

    Co-Président de Centrale Santé

    • Lucien Kokh dit :

      Bonjour et merci Michel Daigne qui amène un sujet de réflexion large. Comme tous les sujets, cela demande de se demander, comment on les intègre dans sa
      pratique. Sa pratique de personne et de praticien et dans sa pratique professionnelle de médecin. Car je considérè qu’une personne est « sa praticienne », avant
      que d’être le bras et le levier technique armé de son métier ou de son expérience professionnelle y compris comme médecin. Ce que je veux dire et considérer par là
      est que l’expérience médicale ou du médical, qui implique ou embrasse le secteur santé de la personne, est une expérience sociale et psychosociale de rapport aux êtres, aux autres, aux environnements et aussi à la société et ses états ou ses états.Société qu’on peut penser comme une globalité sans pouvoir pleinement la définir. Et qu’il est bon de ne pas laisser la société être et aller comme livrée à elle-même ou sinon à des dispositifs institutionnels et institués, qui ne peuvent la prendre en compte que dans le cadre que d’une dogmatique administrée, de masse. Avec toutes les confusions possible sur ce point de pouvoir penser et agir pour tous, et pour leur meilleurs biens, en dispositifs institués ou dogmatiquement institué et figé. Un de problèmes d’ailleurs qui peut être énoncée,est de pouvoir pensée la société, c’est dire aussi soi et les autres, en les englobant, sans être mégalomanes ni humaniste abstrait.
      Quand je pense aux dangers dont il nous parle pour notre société et état social, je pense qu’il se parle et nous parle aussi de notre danger pour notre
      société sur le plan de son état de civilisation. C’est à dire ce qui concerne la recherche d’une limite de la violence ou de la brutalité non consciente ou intempestive.
      Le médecin au sens où Michel Daigne nous cite une science ou recherche en ingénierie mentale, est quelque chose qui est une sorte de « dette au médical » au sens du soin et de la qualité de l’entente sur les préservations, pour tous. Le soin appartient à la qualité des humains et à une collectivité et pas seulement à ses spécialistes et à leur constitution en dogmatique instituée. Si je soigne bien une articulation, alors, en connaissance d’elle par exemple, je soigne et prend en compte aussi l’esprit. Et le soin qualifie cet ensemble dans son précieux et sa qualité. Cela dépasse le bon état de marche et de mécanique sur le plan mécaniciste des fonctionnements.

      De plus nous devons prendre garde à travailler le langage et les conceptions sociales, dans les formes de conscience et de communication entre soi
      et tout autre dans les formes et les ensembles élargis. Être sémanticien donc. Si je me laisse à penser, société, notre société, et organisation et aussi civilisation comme ce qui appartient à une société, je suis surpris de ce que ce commentaire de Michel comme intervenant, me donne à penser et « comme à parler avec quelqu’un ». Et donc aussi et en conséquence, en écho et résonance de ce que cela fait que je me dis, pour le pratiquer et le penser. Par exemple, je vais penser à « notre société ». Mais je remarque et fait remarquer que pour que cette société soit mienne ou soit votre, il ne faut pas qu’elle soit seulement de l’ordre factuel du fatum, soit comme une sorte de politique de la fatalité collective. Elle ne l’est qu’en adhésion et le plus possible et en qualification tel que je puisse me qualifier et m’y qualifier. Le nom, la masse et le tragique ou sa manipulation, ne suffissent pas. Ce qui rend aussi sensible ou éveillé à l’appel qu’il lance, et d’autres encore, sur la veille ou le réveil en quoi le numérique nous met en menace de gestion de masse, dite économique et d’empire et de tomber dans la catastrophe de l’économisme destructeur, en masse.

      La conversion et la reconversion sur le local et au moyen des ses instruments et moyens qu’apportent les nouvelles technologies, doivent donc être considérées pour la réorganisation du local ou une nouvelle conception nécessaire comme modèle de base. Et de façon à mieux penser ou retomber, sur la force, la condensation et la modestie, « des proximités ». Merci encore pour l’occasion de ces échanges.

      Lucien Kokh

  • Liliane Mitelman dit :

    J’ai été très intéressée par votre témoignage Vera et vous félicite ainsi que Lucien pour le courage dont vous avez fait preuve dans ce travail et dans le fait de bien vouloir l’exposer.
    En tant que psychiatre et psychanalyste, j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion d’accueillir puis d’accompagner des personnes atteintes de burn out. Il leur était impossible de se rendre à leur travail voire même de sortir de chez elles. D’emblée s’imposait la question du corps.
    Un corps émotionnel réfractaire, qu’ il n’était plus désormais possible de contourner. Celui-ci semblait représenter une part intime et intense du sujet lui- même, en proie à un conflit violent, dont il fallait comprendre et distinguer les éléments propres.
    Dans chacun de ces cas, il m’est apparu nécessaire d’attacher une attention toute particulière au contexte professionnel et social dans lequel cette souffrance s’était développée et enkystée, de me mettre en relation avec les autres intervenants du soin ( prise de contact avec le médecin généraliste ). Ce décloisonnement dans l’approche semble rapidement créer un appui pour le patient et demande de ne pas hésiter et prendre ses responsabilités.
    Ce type de travail réclame une présence très grande du thérapeute, un sens du terrain, de l’action, du conflit et des urgences. IL devra s’ancrer non seulement dans son espace mental mais aussi dans son corps , ses forces et ressources émotionnelles, afin de se rendre disponible ( et ce faisant, permettre cette disponibilité et présence à son patient également ) en convergence mentale et émotionnelle.

    Vous montrez ainsi, Vera et Lucien que le témoignage, par la mise en partage de cette expérience thérapeutique avec d’autres, réintroduit la dimension du groupe social et permet de ce fait, au- delà du soin, une reconquête plus large de la personne au sein des espaces humains et de ses espaces de vie.

    • Lucien Kokh dit :

      Merci Liliane pour ce beau témoignage de pratique mentale, humaine, psychiatrique et analytique. Tout semble en effet à réformer dans notre pratique et dans celle dont les personnes sont conscientes ou peuvent l’être. Ainsi que dans notre position mentale et sociale vis à vis des personnes, de leurs groupes humains de travail et de proximité et de notre position vis à vis des personnes et de leur souffrance au sein de leurs contextes. Pour les aider, et qu’ils se soignent, mais aussi pour être mieux compris et perçu, et aussi pour donner foi, force et assise à une attitude humaine du témoignage et de la véracité qui dépasse le domaine de la preuve. Cela n’empêche pas des positions et des capacités d’objectivité fortes et de renforcement des capacités intellectuelles, de comprendre, anticiper et recevoir, de la part du thérapeute ou soignant receveur. D’autant que ce que nous recevons n’est pas seulement la souffrance des personnes, ou leur limite, c’est aussi la marche en avant et la continuité du temps, des situation et des souffrance. Ce redéploiement et ce sens de reconquête des pratiques, des courages de témoin et de transmission, me semble essentiel à exprimer et partager. Encore une fois mes remerciements pour ta collaboration, ta force de conviction et d’engagement, et ton plaisir dans l’ouverture.

  • Macha Arfel dit :

    Je viens d’écouter les témoignages audio. J’avais lu les textes bien avant.
    J’ai été très sensible à ce plus qu’apporte cet échange audio, en perception de l’être de Véra et de Lucien .Et de leur travail ensemble pour réparer, tisser dans l’intelligence et l’esprit .Entendre la profondeur de ce travail sur sa conscience dans une société en crise… Merci pour ce bel ouvrage…

    • Lucien Kokh dit :

      Merci Macha pour cette bonne impression suite à l’écoute du développement en audio de notre travail et de son témoignage et son explication. Vous relevez très bien ce que cela amène et complète en audio comme dimension corporelle, liée à la voix, et a son effet et à la captation auditive, qui met en jeu tous le secteur de l’audition mais bien plus dans la réalisation et la cognition. C’est là comme une forme d’écoute publique et d’expression forte ou vraie,qui donne un effet vrai et réel aux sensations et émotions évoquées et exprimée. Cela a été présent dans notre conscience de l’enjeu et dans le courage moral et mental de la réalisation de ce témoignage par la personne. Tout ce que la réalité et la réalité sensorielle donne et délivre en dimension sphérique totale comme en dimension 3 D propre en soi. Merci d’en témoigner l’expérience dans le travail et la conceptualisation que vous faites par ailleurs. La voix tient compte de l’autre. Mais aussi elle va vers le courage et l’audace dans ce qu’elle incarne, exprime et tente de partager.

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