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Au-delà du burn-out
Rencontre

Burn-out : « épuisement progressif par successions de chocs ».

Il y a 4 ans, Vera était victime d’un burnout, après plus de 30 années menées tambour battant à l’intérieur d’une grande entreprise française. Dans un contexte où l’épuisement professionnel est souvent « tabou » ou méconnu, il n’est pas si simple de partager une telle expérience. Mais parce que d’autres salariés peuvent être concernés, et vivre comme elle, les prémices d’un burnout sans en prendre conscience, cette cadre placée à un poste à responsabilité a souhaité faire part des « leçons » de cette tranche de vie, et de la façon dont elle a choisi de se reconstruire petit à petit. C’est donc dans un état d’esprit apaisé, qu’elle accepte aujourd’hui de témoigner.

 

Introduction

Comment trouver les mots…

La ou les raisons du prénom inventé comme masque pour témoigner

Témoignage

Le burn-out : Le cadre et le masque et l’invention des mots pour le dire. Cas de thérapie et sa conception dans la réalité d’un burnout et de son constat chez un cadre d’entreprise de niveau élevé.

 

L’itinéraire de Vera

N. M. – Quel a été votre parcours professionnel ?

V. – « Servir la chose publique », cela a été engagement fort, suivi depuis des générations par ma famille. Au sortir de mes études de droit, je ne me suis donc pas posée trop de questions, et j’ai intégré une grande entreprise française dans ce domaine. J’ai gravi les échelons de l’entreprise un à un, jusqu’à manager des équipes de 50 à100 personnes, puis exercé des métiers orientés vers les salariés. J’ai accompagné de nombreux changements : organisationnels, de reconversions professionnelles, sur les modes de management….Et j’ai pu bénéficier de toutes sortes de formations, me permettant à la fois d’enrichir mes pratiques professionnelles et de répondre aux défis de l’entreprise. Ce qui me plaisait le plus dans ces jobs, c’était d’inventer des solutions nouvelles, défricher, me déplacer, découvrir de nouveaux mondes professionnels, piloter des projets innovants. Le côté très autonome des postes me plaisait aussi. J’ai pris toute jeune à me débrouiller seule, lorsque je vivais à l’étranger. Ce travail et ce parcours m’ont beaucoup apporté. Le temps a passé très vite. Seules les dernières années m’ont semblé des siècles. Je n’avais jamais connu d’échec auparavant… Je n’aurais donc jamais pu imaginer ce qui m’est arrivé.

N. M. – Vous vous décrivez comme une cadre dynamique, autonome… À partir de quand avez-vous senti que les choses vous échappaient ?

V. – Difficile à dire, car cela est arrivé de telle façon que je n’ai rien su voir, ni décrypter, et dans un contexte de fortes turbulences internes, où beaucoup de personnes de l’entreprise avaient perdu leurs repères. Et moi avec sans doute ! Toujours est-il que j’ai occupé des postes, avec des configurations toujours plus complexes et pointues, dans des climats de travail pas toujours faciles à affronter. Mais j’étais passionnée par mon travail. En revanche, plus je grimpais de niveau dans la hiérarchie et plus le stress montait. Tout cela a bien fonctionné, jusqu’au jour où j’ai refusé un ordre non éthique de mon patron. Du jour au lendemain, les problèmes ont commencé pour moi. J’ai été contrainte de quitter mon poste. Et je n’ai plus jamais retrouvé de mission, à la hauteur de mes compétences. C’est alors que je suis tombée malade, avec un premier arrêt de travail de 2 mois, suivi d’une rechute de 6 mois. J’ai repris ensuite le travail, mais j’étais complètement anémiée et épuisée. Je me suis tout de même accrochée. Je n’avais pas le choix.

N. M. – Comment expliquez-vous que vous n’ayez pas su vous protéger ou vous défendre, alors que votre formation de coach aurait pu vous permettre de réagir ?

V. – Cela peut évidemment sembler étonnant. Pourtant il y a des raisons à cela. Et elles pèsent de tout leur poids. Tout d’abord, concernant le burnout, il faut se rappeler que cette notion est relativement récente. Elle n’a jamais été abordée dans mes formations. Je n’avais donc aucune connaissance sur ce sujet. Comment se protéger de quelque chose dont on n’appréhende pas la gravité ? En parler, dire que cela existe, est déjà un pas vers sa prise en charge.

Ensuite, la posture et les connaissances d’un coach n’en font pas un être omniscient. Le coach est un être humain, vulnérable, avec des zones d’ombre dans sa compréhension des choses. Le ou les superviseurs qui accompagnent son travail sont là pour l’aider à y voir plus clair. Or mes superviseurs  n’étaient pas formés face à ce type de problématique. Ils n’ont donc pas vu le caractère critique de ce que je vivais.

Par ailleurs, vous soulevez ici la difficulté du «  dépistage » du burnout. Or, une de ses caractéristiques est que pendant longtemps, il agit à l’insu de la personne. Il est comme caché, « rampant ». Ses symptômes extérieurs sont la fatigue, une moindre motivation, comme une sorte de dépression…. Pris séparément, ses signes sont souvent banalisés. Mon médecin m’a arrêté seulement quand je n’en pouvais plus !

Enfin, me concernant, la passion du travail, l’ambition, les signes de reconnaissance que je recevais ont masqué mes difficultés. Sans compter que, je me suis construite sur des valeurs d’engagement, de dépassement de soi, qui étaient justement prônées par la culture managériale ambiante. Or, on n’attend pas d’un cadre qu’il dise qu’il n’y arrive pas ! Je ne m’inquiétais donc pas. Je me pensais à l’abri. Les accidents de santé c’était pour les autres. Il faut dire que je prenais aussi du temps pour m’occuper de moi, à travers le chant, le yoga, le massage….. Pourtant, avec le recul, je vois bien qu’une fatigue chronique s’était déjà installée, et qui était banalisée par les médecins qui me suivaient. Tout cela m’a donc empêché d’analyser les choses avec discernement. On se retrouve face à l’histoire d’un cercle vicieux où, plus vous avancez, plus vous êtes fatiguée, et plus vous êtes fatiguée, plus vous vous accrochez. Ce qui accroit encore votre fatigue, et réduit le peu de discernement qui peut vous rester.

N. M. – Avec le recul de votre thérapie, quels sont ces signes que vous n’avez pas su voir ?

V. – Des signes managériaux concordants d’une « mise au placard » d’abord. C’était sûrement trop douloureux, et surtout incompréhensible pour moi, puisque cette entreprise m’avait reconnue, formée, pendant des années. Suite au premier harcèlement, j’ai dû trouver un autre poste en interne. J’obtenais des rendez-vous. En entretien, on me disait que j’étais très compétente, mais au final, on ne me recrutait pas. Je n’ai su que deux ans plus tard qu’une rumeur avait circulée sur moi, complètement infondée ! Mais personne n’osait m’en parler… même ceux qui m’appréciaient, par peur de me blesser. Il y a bien un ou deux amis qui ont tenté de m’alerter, mais je n’ai pas su les écouter. J’étais dans une spirale. Jusqu’à ce que je tombe malade, réellement. J’ai ignoré aussi des symptômes physiques nouveaux, pensant que cela passerait. Jusque-là, lorsque j’avais des baisses de régime, je faisais une cure de vitamine et je repartais ! Là, c’était différent. Je commençais à avoir des crises d’asthme au travail. Puis j’ai développé une vraie maladie. Pourtant, lorsque je suis revenue en mi-temps, j’étais encore déterminée à retrouver un poste. La passion du travail n’avait pas disparu. Ou peut être étais-je déjà en mode «  survie » ? Imaginez que j’ai accepté un poste à plus de trois heures de chez moi ! Cela a duré trois ans. Et puis un jour, j’ai fait un malaise vagal.

N. M. – Comment expliquez-vous le fait que vous soyez parvenue à tenir si longtemps ? N’aurait-il pas été normal de demander de l’aide à l’intérieur de votre entreprise ?

V. – J’ai je crois beaucoup de volonté. Et j’aime travailler. Cela m’a donné l’énergie nécessaire pendant longtemps. Ensuite je ne voulais pas être exclue, étiquetée «  bras cassé ». J’avais vu plusieurs cas autour de moi. Or j’étais déjà exclue à ce moment-là. Mais toute une partie de moi refusait de voir cela. Toute une vie d’engagement pour finir comme cela, c’était insupportable ! Mon cerveau refusait de voir l’évidence. Heureusement, à ce moment-là, une amie m’a parlé d’un thérapeute, psychiatre et psychanalyste, qui connaissait bien le monde de l’entreprise. C’est ainsi que j’ai rencontré le médecin qui est parvenu à faire fondre ma « carapace », à force de patience, de silence, voire de provocations, pour me sortir de mon isolement, et me faire prendre conscience du rôle que j’avais joué dans cette histoire.

N. M. – Vous vous en êtes sortie aujourd’hui. Quel est le message que vous souhaitez faire passer à travers ce témoignage ?

V. – Quand je lis sur Internet la littérature sur le burnout, je suis saisie par les propos souvent fatalistes pour les salariés. Vivre un burnout est une épreuve personnelle terrible, il est vrai : on entre dans une spirale de confusion, on ne sait plus qui on est, le corps répond absent, il est comme « cassé », après avoir été sur-sollicité et s’être sur-adapté pendant trop longtemps. Pourtant, je tiens à transmettre un message d’espoir. Mon expérience personnelle montre que l’on peut se reconstruire. Ce n’est pas facile, loin de là, mais c’est possible, avec le temps, et à condition d’avoir un accompagnement adéquat.

Le docteur K. a ainsi essayé de me ramener dans la réalité, en me rapprochant de mes sensations. Il a fallu beaucoup de temps, avant que j’accepte d’être réellement aidée. Au début, je n’étais qu’un « tas de honte ». Je me plaignais continuellement. Un jour de « Calimérite aigue », il m’a dit : « vous êtes déprimée, eh bien, soyez-le ! Soyez vous-même ! »  Tout d’un coup, je me suis enfin sentie entendue. J’ai retrouvé le monde des vivants, et j’ai pu enfin pleurer en rentrant chez moi. Il m’a fallu ensuite 3 années de travail sur moi,  pour retrouver une forme de liberté, face à moi-même, et au regard des autres. Son humour, son infini respect pour là où j’en étais, pour ma personne, ont été déterminants pour moi. Je parviens maintenant donner du sens à ce qui m’est arrivé.

Il ne s’agit pas pour moi d’accuser mon entreprise. Car j’aime réellement le travail et le milieu de l’entreprise. Mais de réfléchir à mon propre rôle dans cette histoire. Comment ai-je pu ne pas voir que quelque chose n’allait plus et que j’allais progressivement dans le mur ? Qu’est-ce qui a fait que je n’ai pas pu freiner et éviter la catastrophe ? C’est toute la question que je me suis posée. Les réponses m’ont ouvert les portes de prisons que je portais en moi depuis des années, et qui me gâchaient la vie. Aujourd’hui, je suis sur le chemin de la reconstruction, et je compte bien reprendre mon travail, en apportant ce que je suis et les valeurs que je véhicule, et que je veux pouvoir apporter à l’entreprise. Ce sera ma part de valeur ajoutée.

propos recueillis par Nadine Mouchet

voir le témoignage de Vera et Lucien Kokh au Cercle François Arfel (vidéo)

Lucien Kokh, 04-02-2015

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